Quels sont les impacts de la géopolitique sur l’agriculture bretonne ?

Comme d’autres secteurs de l’économie, l’agriculture française subit l’impact de la crise russo-ukrainienne. L’éclairage d’André Sergent, Président de la Chambre régionale d’Agriculture de Bretagne et agriculteur à Beuzec Cap Sizun (29).

Comment vivez-vous la crise en Ukraine ?

L’agriculture vit actuellement une triple turbulence : sanitaire avec la grippe aviaire, climatique et géopolitique. Le conflit en Ukraine entraine ainsi une forte hausse du prix des matières premières dont les agriculteurs ont besoin : l’énergie, les engrais (tous deux produits à partir de gaz) et les céréales (indispensables pour nourrir les porcs et les volailles). Par exemple, le prix de l’aliment est passé de 280€ la tonne en moyenne en 2021 à 340€, et on s’attend à ce qu’il atteigne 400€. Dans mon élevage, cela représente un coût supplémentaire de 15 000€ par mois. Pour les engrais, le problème se posera plutôt en 2023 : les agriculteurs ont fait leurs stocks pour cette année avant le déclenchement de la crise.

Que mettez-vous en place pour résister ?

Je suis à la fois éleveur de porcs et de vaches laitières. Pour les cochons, nous subissons la hausse du prix des céréales de plein fouet car il n’y a pas de substituts alimentaires possibles. Pour les bovins, qui se nourrissent essentiellement de fourrages à base d’herbe et de légumineuses, je cherche à limiter au maximum la complémentation en céréales et en protéines à graines, en cultivant, sur l’exploitation, des graminées et des légumineuses adaptées à mes sols et en travaillant la précision des périodes de fauche et de pâturage. J’ai aussi investi dans les énergies renouvelables : la méthanisation depuis huit ans et plus récemment, le photovoltaïque, pour l’autoconsommation électrique de la ferme et la revente d’électricité. Cela permet de réduire la facture énergétique. Ces solutions sont aussi particulièrement conseillées aux producteurs de légumes qui ont besoin de beaucoup d’énergie pour leurs serres.

Quels sont les atouts de l’agriculture bretonne ?

Le climat breton est propice à l’élevage et la région a une solide industrie agro-alimentaire de transformation. Nous avons aussi la chance de pouvoir produire en partie nos propres engrais organiques à condition de choisir les bonnes espèces. Mais nous n’avons pas les surfaces pour produire en quantité suffisante les céréales qui composent l’aliment pour nos animaux : nous devons souvent les acheter. Même chose pour les protéines, comme le soja, le colza, le tournesol. Pour être résilients, il faudra à l’avenir raisonner à l’échelle nationale : maintenir les élevages en Bretagne et passer des contrats avec les régions voisines grosses productrices de céréales et de protéines, pour éviter d’avoir à importer. Bref, développer une sorte de circuit court inter-régional. Ce travail est déjà bien engagé.

Plus globalement, le France peut-elle conserver son autonomie alimentaire face à cette situation géopolitique dégradée ?

La France est un grand pays agricole, avec une grande diversité de productions. Si des pénuries, notamment de céréales, sont possibles à l’échelle planétaire, il ne devrait pas y avoir de souci chez nous. Mais certaines filières risquent d’être fragilisées , faute de rentabilité. Les éleveurs de porcs par exemple produisent déjà à perte. Les plans d’aide ne sont pas des situations durables. Il faut donc s’attendre à des augmentations de prix sur les denrées de consommation.