À quoi servent les réserves d’eau installées par les agriculteurs ?
En Bretagne, de nombreux agriculteurs installent des retenues collinaires*, communément appelées réserves d’eau. Une vraie aide à l’irrigation d’appoint sur cette terre de production légumière. Illustration avec Jean-René Menier, cultivateur à Mauron (56).
* Ne pas confondre avec les “mégabassines” qui sont des systèmes de stockage hivernaux, faits avec des bâches. Elles sont généralement 10 à 30 fois plus grandes que les retenues collinaires.
C’est quoi une retenue collinaire ? À quoi ça sert ?
C’est un système de petites réserves d’eau qui permet aux agriculteurs de stocker les excès d’eau de pluie hivernale pour les utiliser quand les cultures en ont besoin, généralement l’été. Exactement comme lorsque vous congelez les légumes que vous avez fait pousser dans votre potager à la belle saison pour les consommer l’hiver !
En Bretagne, elles sont apparues dans les années 1990 et sont essentiellement utilisées pour la production légumière. C’est le cas sur ma ferme : si je cultive aussi des céréales, j’utilise mes réserves exclusivement pour irriguer les légumes et les plants de pommes de terre. Avec un bassin de 23 000 m3, la taille moyenne d’une réserve en Bretagne, on peut couvrir les besoins en eau de 25 à 30 hectares selon les légumes.
Comment ça fonctionne ?
Environ 10 % de l’eau de pluie, de l’eau de surface comme celle des fossés, est captée. Le reste rejoint le milieu naturel. Récupérée par des drains, elle vient alimenter un bassin creusé dans le sol où elle reste stockée tout l’hiver. Puis quand on en a besoin, l’eau est pompée et distribuée dans les champs grâce à un système de tuyaux enterrés. Il y en a ainsi plus de 3 km sur mon exploitation. Des sondes, installées en
profondeur dans la terre, permettent de mesurer le taux d’humidité du sol et de calculer précisément les besoins en eau en tenant compte de divers paramètres : la température, le type de plante et son stade de développement, la vitesse du vent… Ces outils numériques sont d’une grande aide pour apporter la quantité juste nécessaire, au bon moment, et ne pas gaspiller. Avant, nous faisions ces calculs à la main.
Tout ce système est très réglementé. En effet, à tous les niveaux. La réserve ne doit pas être installée dans une zone humide ou près d’une source et être parfaitement étanche. En Bretagne, la nature du sol, généralement argileux, permet le plus souvent d’éviter l’utilisation de bâches : il suffit de tasser très
fortement pour obtenir cette étanchéité.
Privilégier ainsi les matériaux naturels est un vrai atout : au bout de quelques années, l’herbe pousse sur les digues, la faune et la flore reviennent coloniser les bords de l’étang. Foulques, poules d’eau, hérons, canards : les réserves deviennent des zones de biodiversité. La période de captation de l’eau de pluie aussi est encadrée, de novembre à mars en général, et l’utilisation de l’eau très surveillée. Chaque réserve est déclarée à l’administration et sujette à un contrôle de la police de l’eau à n’importe quel moment.
Sans ces réserves, quel est le risque ?
Ces retenues sont essentielles pour la régularité du rendement et la qualité des cultures. Sans eau, rien ne pousse ! Un plant stressé par manque d’eau produit de mauvais légumes. J’ai déjà fait l’expérience dans deux champs de haricots verts côte à côte, l’un irrigué et l’autre non. Dans le premier, les haricots étaient fins et sans fils. Dans l’autre, ils étaient plus courts, trapus, pleins de graines et de fils. Si l’eau manque au moment de la floraison, les fleurs tombent et ne font pas de fruits, donc pas de légumes. La réserve est
une sorte d’assurance : celle de pouvoir apporter chaque année une alimentation de qualité en quantité suffisante, en maîtrisant mieux nos cultures.
Jean-François Berthoumieu, climatologue
En Bretagne aussi, le réchauffement climatique est là. Et si les cumuls annuels de pluie sont stables, les précipitations sont moins fréquentes l’été. Il faut trouver le moyen d’utiliser l’été l’eau des abondantes pluies hivernales. Pour les agriculteurs, les solutions sont locales : conserver haies et sols enherbés, qui gardent mieux l’eau grâce au système racinaire des plantes, l’aident à s’infiltrer en profondeur, ralentissent le ruissellement et facilitent le remplissage des nappes phréatiques. Créer des lacs collinaires, qui sont encore plus efficaces assortis de bassins de décantation en amont pour éviter le développement de bactéries néfastes pour les cultures et l’environnement. Enfin, irriguer les cultures, de préférence quelques jours avant un orage : grâce à l’évapotranspiration des plantes, les zones irriguées aident à enclencher un cycle naturel de précipitations et à “fabriquer la pluie” !