Laurie Poussier

Lundi

Bonjour, merci à Morgane pour son passage sur Agribretagne la semaine dernière. Je m’appelle Laurie Poussier, j’ai 34 ans, je suis en cours d’installation pour rejoindre mon compagnon sur la ferme et je viens de créer une savonnerie artisanale ! Je viens d’une famille d’agriculteurs de Mayenne. J’ai un parcours d’ingénieur agricole spécialisé en productions animales. Je suis passée notamment par l’ESA d’Angers et l’université de Wageningen aux Pays-Bas. L’ESA m’a beaucoup appris coté terrain (avec les stages en fermes et en entreprises) ainsi que sur la filière. Aux Pays-Bas, j’ai été plus particulièrement sensibilisée à l’aspect scientifique, l’expérimentation, les protocoles…

Là-bas, j’ai rencontré mon compagnon, Jeroen. Un hollandais, un vrai ! En rentrant en France, après mon mémoire de fin d’études, j’ai ensuite été embauchée par la coopérative UNEAL dans le Nord Pas de Calais. Je suis restée 5 ans chez les Ch’tis avec un poste de responsable du marché ruminants : en résumé, cela consistait à fournir tous les éléments nécessaires aux technico-commerciaux pour commercialiser une gamme d’aliments (100 000 tonnes) & produits nutritionnels pour l’élevage.

Puis nous sommes partis du Nord, non pas parce qu’on n’aimait pas -les Chtis sont très accueillants !- mais  parce que Jeroen souhaitait s’installer & notre choix géographique s’est porté vers l’Ouest. Pour que ce soit plus facile pour nous de chercher, nous avons tous les deux chercher un travail en Mayenne : moi au Cerfrance, Jeroen dans une ferme. Trouver la ferme idéale avec nos critères de prédilection nous a pris à peu près trois ans. Nous avons finalement acheté la ferme à la Chapelle-Janson, en Ille et Vilaine. Son parcellaire groupé, le potentiel de rendement des terres et la maison fraichement rénovée rendaient l’investissement intéressant.

Quand Jeroen s’est installé, je travaillais encore à l’extérieur, mais je me suis rendue compte après un certain temps que j’avais envie de me mettre à mon compte. L’idée de produire du savon est arrivée tardivement. Je vous raconterai demain comment 😊

Jeroen s’est installé en 2018 en reprenant la ferme tout seul avec 75 vaches et 80 ha. Aujourd’hui, nous produisons avec 100 vaches sur 90 ha. Nous livrons notre lait à la coopérative Agrial. Au niveau de la ferme, je m’occupe des « à côté de la traite » : les veaux, les logettes, la gestion des paddocks quand les vaches sont à l’herbe, et l’administratif. Jeroen s’occupe principalement de l’atelier lait, et nous avons l’aide d’un apprenti pour cette année. La savonnerie m’occupe une bonne partie de mon temps, surtout qu’on démarre tout juste l’activité.

Nous sommes plutôt complémentaires : Jeroen aime traire, moi pas trop, il aime faucher l’herbe, je préfère la faire pâturer par les vaches ! Nous sommes deux fortes têtes et aimons avoir raison tous les deux, mais fort heureusement nous trouvons toujours un terrain d’entente franco-hollandais.

Bonne semaine en ma compagnie !

Mardi

Comme je vous le disais hier, l’idée de la savonnerie est arrivée sur le tard. Je me suis toujours intéressée aux solutions naturelles. Dans le Nord, je faisais la promotion de solutions naturelles pour l’élevage et des services en ce sens. « Prévenir plutôt que guérir ». Je me suis également intéressée à la phytothérapie, l’aromathérapie.  

Quand j’ai décidé de rejoindre Jeroen à la ferme, comme tout éleveur, je me demandais comment valoriser notre lait avec une meilleure valeur ajoutée. Du yaourt ? trop vite périssable. Du fromage ? (du gouda même, pour faire le lien aux origines hollandaises de Jeroen) beaucoup d’investissement de départ. Pendant cette réflexion je suis tombée par hasard sur des publicités de savon au lait d’ânesse, et de lait de chèvre. Je me suis dit et pourquoi pas au lait de vache ?

J’ai commencé à creuser la question. J’ai multiplié les formations et les rencontres : j’ai fait une formation certifiante sur la création de marque de cosmétiques naturels (100h sur la physiologie de la peau et des cheveux, la formulation des produits, les ingrédients, la réglementation, etc.), une formation sur les différentes techniques pour faire du savon solide et une formation plus professionnelle sur la saponification à l’Université Européenne des Saveurs et Senteurs de Provence.  Avec cela en bagage, je me suis sentie prête à me lancer dans la recherche et développement de mes produits.

J’ai fait 8 mois de R&D pour créer la gamme. J’ai beaucoup travaillé sur le sourcing de mes produits : je me suis donner le challenge de n’utiliser uniquement que des matières premières produites en France. Notre Agriculture Française a tant à offrir ! sa diversité, sa qualité, je voulais absolument la valoriser dans mes produits. Souvent on utilise dans du savon du beurre de karité et de l’huile de coco ; de très bonnes matières premières pour la peau à vrai dire. Je trouvais juste cela dommage qu’elles fassent des milliers de km alors qu’on a de quoi faire un savon de haute qualité avec ce qu’on produit en France.  

Aujourd’hui, 99% de matières premières françaises : L’huile d’olive, la lavande, les ocres végétales (des pigments naturelles) viennent du Sud de la France, l’huile de Chanvre, l’huile de cameline, le miel viennent de producteurs de Bretagne, les argiles du Centre de la France.. il n’y a que le charbon végétal et de la poudre d’orcanette (une plante tinctoriale) qui ne viennent pas de France.

J’ai créé la savonnerie en janvier 2022. Tout savon avant d’être commercialisé doit être réglementairement validé par un toxicologue certifié. C’est un gage de qualité vis-à-vis du consommateur pour garantir sa sécurité. Chaque matière première a sa fiche de sécurité prouvant un non-risque de toxicité. Ma fabrication en laboratoire doit respecter les bonnes pratiques de fabrication. Chaque savon a son numéro de lot, les étiquettes sont réglementairement validées par le toxicologue, notre société est même déclarée au centre antipoison européen ! Cela fait un paquet d’obligations réglementaires mais c’est pour garantir la sécurité du consommateur.

Mercredi

Retour à l’élevage ! A l’installation de Jeroen, on a entrepris de gros travaux pour rallonger la stabulation et passer d’une aire paillée à des logettes creuses. Tout le monde nous a déconseillé ça à l’époque, on n’en trouve pas tant que cela en Bretagne. Du coup, Jeroen a cherché de l’inspiration en Allemagne et aux Pays-Bas. Comme on n’avait pas de références en France, on a recherché nous-mêmes les dimensions des logettes, les tubulaires, etc. Jeroen a passé beaucoup de soirées sur Youtube !

Le principe des logettes creuses : les vaches dorment non pas sur un matelas ou du béton mais sur un mélange qui peut être du sable, des copeaux ou un mélange de paille, chaux et eau. Nous avons opté pour ce dernier. Contrairement aux idées reçues, cela ne chauffe pas tant dans les logettes, et nous n’avons pas eu une hausse de maladies telles que mammites ou cellules.

Dans la continuité, on a aussi cherché un bol mélangeur pour l’alimentation des vaches avec la capacité de pailler les logettes creuses. Evidemment, l’option n’existe pas en France et nous avons dû le faire venir des Pays-Bas. On appréhendait ce passage aux logettes creuses au départ, mais on a su que cela fonctionnait dès les premiers jours de la mise en route. Les premières à se mettre dedans étaient les génisses et les vaches les plus vieilles : c’est que cela devait être confortable ! Pour nous au quotidien, c’est un immense gain de temps au paillage : on estime un gain de 2h par jour avec le système de logettes creuses.  

Jeudi

Dès la première année, nous sommes passés au pâturage dynamique. Cela veut dire que nous avons une trentaine de paddocks ou parcelles de pâture. Les vaches changent de paddocks tous les jours pour avoir de l’herbe fraîche.

Ça a été un gros boulot pour remettre les chemins de pâture, les abreuvoirs et les clôtures. Un gros investissement aussi.

La gestion du pâturage, c’est une petite guéguerre entre Jeroen et moi. Jeroen préfère optimiser l’herbe sans gaspillage et ne supporte les refus que peuvent laisser les vaches donc il préfère faucher. Moi je trouve que le pâturage est beaucoup plus économique, et cela fait du bien aux animaux de sortir dehors pour leurs pattes par exemple. Je trouve que c’est également répondre à une attente du consommateur, et que cela rend notre métier plus visible au grand public.

Nous avons 46 ha d’herbe au total. Nos prairies sont pour la plupart des prairies multi-espèces, inspirées des prairies suisses, avec une composition diversifiée : ray-grass, trèfle, fétuque, fléole, lotier… Cela permet d’apporter de la richesse en énergie et en protéine, et une pousse plus régulière dans l’année. Le ray-grass anglais par exemple souffre lorsque les températures vont au-delà de 20°C, ce qui est moins le cas pour une prairie multi-espèces.

Vendredi

Je développe en parallèle de la savonnerie une partie pédagogique sur la thématique du bien-être, avec la mise en place d’un jardin médicinal pour les particuliers ainsi que des prairies médicinales pour les animaux. Je suis en formation actuellement à l’école d’herboristerie avec Cap Santé dans le Finistère. Dans notre groupe de formation, il y a quelques médecins et infirmières en reconversion professionnelle, ce qui rend les discussions intéressantes et scientifiques dans ce domaine.  J’acquiers des notions sur les plantes, leurs vertus et comment les utiliser pour prévenir certaines pathologies dans nos systèmes de santé. J’ai aussi fait deux jours de stage chez Mickaël Mary, botaniste et paysan, qui m’a beaucoup fait me remettre en question. À titre personnel, je trouve qu’on devrait tous avoir notre petite jardin d’herboristerie familiale pour prévenir des petits maux du quotidien. J’aimerais dans ce sens pouvoir transmettre aux autres ce que j’apprends à l’école d’Herboristerie.

Pour les animaux, je me suis intéressée aux travaux de Pauline Woehrle de la société Eilyps sur les prairies pharmacies. Après avoir visité le lycée agricole de Saint Hilaire du Harcouet qui experimente également ce concept de prairies, j’ai eu envie de faire une bande d’essai pour cette année. Elle vient juste d’être semée. Si ça marche, on en mettra sur les bords de chemin d’accès aux paddocks pour que les vaches aient accès en permanence.  

Dans le mélange testé, on a des variétés comme le plantain, l’achillée millefeuille, la pimprenelle ou la centaurée des montagnes qui m’intéressent à la fois pour la savonnerie mais aussi pour les vaches parce que ce sont des plantes riches en tanins et en antioxydants. J’espère pouvoir donc garder une partie de la bande d’essai pour la savonnerie et donner le reste aux vaches.

En juin, je compte mettre en place une serre d’aloé vera de 100 m². Le gel qu’on extrait des feuilles est très intéressant pour la peau. Je compte développer d’autres produits à base d’Aloe Vera et faire des ateliers pédagogiques sur cette thématique. Il faudra venir me voir ou me suivre sur les réseaux😊 ah oui j’ai failli oublié… le nom de la savonnerie : l’Atelier du Tilleul. www.latelierdutilleul.fr

Merci de m’avoir accompagnée cette semaine ! Lundi prochain, Agribretagne part à la rencontre d’un Breton d’adoption…